Phare de Grande Anse, Nouveau-Brunswick

L’Acadie historique, fondée en 1604 par les Français sur le territoire de l’actuelle Nouvelle-Ecosse, est surtout originaire des provinces françaises du centre-ouest, au sud de la Loire. Pourtant le long conflit colonial entre la France et l’Angleterre s’est terminé tragiquement par la déportation massive des Acadiens entre 1755 et 1762. Alors que les Acadiens d’aujourd’hui restent éparpillés des deux côtés de l’Atlantique, le Nouveau-Brunswick, créé en 1784, est progressivement devenu le fer de lance de la renaissance acadienne, même si des communautés acadiennes se sont aussi enracinées dans les autres provinces maritimes.

« Les Acadiens sont un peuple, et un peuple est plus fort qu’un Pays. Un Pays est une institution, mais un peuple est plus fort qu’une institution, car il a une âme, il a des rêves, il est vivant… », disait la romancière acadienne Antonine Maillet, prix Goncourt en 1979 avec son roman « Pélagie-la-Charette » qui raconte le retour au pays de déportés acadiens. La force de ce propos est à la mesure du traumatisme de la déportation subi par les Acadiens dans les années 1755-1762. Il traduit aussi leur volonté absolue de faire revivre la communauté acadienne, sa langue, sa culture, sa religion catholique, dans une Amérique du Nord désormais anglophone et protestante.

C’est l’histoire de ce peuple dispersé dans un pays sans frontière qui est racontée ici. Certes, faire un portrait historique de l’Acadie n’est pas nouveau en soi. Mais l’approche choisie ici, bien que non exhaustive, s’efforce de rappeler que le rêve de l’Acadie historique brisé par le choc de la déportation massive s’est transformé en espoir que le Nouveau-Brunswick porte haut et fort le flambeau de l’Acadie contemporaine des provinces maritimes.

Un peuple acadien dispersé dans un pays sans frontière

Les régions acadiennes des provinces maritimes à majorité francophone.

Les Acadiens des provinces maritimes

Que sont donc devenus les descendants des Acadiens déportés, qui forment aujourd’hui la diaspora acadienne ? Eparpillés en Amérique du Nord et en France, on les trouve dans plusieurs régions du Québec, en Louisiane et dans le nord du Maine (Etats-Unis) et dans le centre-ouest de la France. Mais les provinces maritimes du Canada sont les seules qui constituent l’Acadie opérationnelle, puisque celle-ci permet de compter les Francophones dont la grande majorité s’identifie comme acadienne ou d’ascendance acadienne.

Les statistiques du Canada sont éclairantes sur les nouveaux foyers de peuplement acadien. La plus forte concentration d’Acadiens se situe au Nouveau-Brunswick (carte ci-dessus). Mais des communautés acadiennes francophones plus dispersées existent aussi dans les autres provinces maritimes (Nouvelle-Ecosse, Île du Prince-Edouard, Terre-Neuve et Labrador) et dans les îles de la Madeleine (Québec). Le Nouveau-Brunswick est la province du Canada, à l’exception du Québec, qui compte la plus grande proportion de Francophones au sein de sa population (33%). Plus de la moitié des Francophones se situent au nord de la province, où ils représentent 77% de la population, et un tiers des Francophones au sud-est de la province, où ils représentent 49% de la population.

Congrès mondial acadien 2014Au nord-ouest de la province, une région revendique sa forte identité acadienne au-delà des frontières, alors qu’elle a dû subir une séparation douloureuse imposée par un traité frontalier. C’est l’Acadie des terres et forêts, qui a accueilli le Congrès mondial acadien en 2014. La région englobe symboliquement les comtés de Madawaska (à 94% francophone), de Restigouche (65%) et de Victoria, au Nouveau-Brunswick, et les comtés frontaliers d’Aroostok dans le Maine et de Témiscouata au Québec. Au coeur de cette région, la querelle frontalière entre le Canada et les Etats-Unis dans la vallée supérieure du fleuve Saint-Jean, sur le territoire du Madawaska (actuel triangle Fort Kent, Edmundston, Grand-Sault), fut réglée en 1842 par le traité de Webster-Ashburton, qui consacra le fleuve Saint-Jean comme frontière entre les deux pays, coupant ainsi la colonie francophone en deux (sans toutefois trop perturber l’économie locale).

L’Acadie opérationnelle, ainsi concentrée sur le pourtour du Nouveau-Brunswick, incarne maintenant la renaissance d’une communauté bouleversée par le long conflit franco-britannique qui a balayé le rêve de l’Acadie historique. Un rappel historique s’impose donc ici, pour mieux comprendre l’histoire tourmentée de ce peuple.

L’Acadie historique au cœur du conflit franco-britannique

Premier établissement permanent acadien à Port-Royal.

Habitation de Port-Royal dans l’actuelle Nouvelle-Ecosse

A l’origine, après un premier échec d’implantation d’une colonie en 1604, le premier établissement permanent en Acadie est fondé en 1605 à Port-Royal (aujourd’hui Annapolis Royal, Nouvelle-Ecosse), par François Gravé du Pont et Samuel de Champlain, lieutenants de Pierre Du Gua de Monts, nommé par Henri IV lieutenant général « des côtes, terres et confins de l’Acadie, du Canada et autres lieux en Nouvelle-France ». Du Gua de Monts s’est engagé à y établir des colons et à évangéliser les Indiens, en bénéficiant du monopole de la traite des fourrures pour compenser les frais de la colonisation.

La colonisation française s’étend lentement, à partir de Port-Royal, principalement sur les rives de l’actuelle baie de Fundy, avec une immigration faible, mais une croissance naturelle vigoureuse. Pourtant, les Acadiens sont ballottés entre les deux puissances coloniales qui revendiquent toutes deux ce territoire stratégique de la façade atlantique. En 1710, après un siècle de conflits militaires et de périodes de paix, les Anglais conquièrent Port-Royal et rebaptisent la ville Annapolis Royal. Trois ans plus tard, le traité d’Utrecht leur cède définitivement l’Acadie péninsulaire qui devient la Nouvelle-Ecosse. La population acadienne n’est alors que de 2300 personnes.

L'Acadie au coeur du conflit franco-britannique en 1754.

L’Acadie en 1754 , au cœur du conflit franco-britannique

La France conserve cependant l’île Saint-Jean et l’île Royale, alors que les deux puissances se disputent toujours le territoire de l’actuel Nouveau-Brunswick (carte ci-contre). Mais les Anglais s’avèrent incapables de soumettre les Acadiens d’ascendance française, largement majoritaires par rapport aux colons britanniques (10000 contre 500 en 1744). Vaut-il mieux angliciser les Acadiens ou les expulser, pour créer une colonie protestante homogène ? La question se pose aux Anglais dès le début du XVIIIè siécle.

En 1720, la France entreprend la construction de la forteresse de Louisbourg sur l’île Royale, afin de protéger l’entrée maritime de la Nouvelle-France, et en 1737, Louisbourg est devenue la troisième ville en importance de la Nouvelle-France, après Québec et Montréal. En 1749, pour contrer l’influence de Louisbourg, le gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, Edward Cornwallis, fait construire la base militaire d’Halifax qui servira aussi de nouveau point de départ de la colonisation protestante dans la péninsule. Mais les Français veulent recréer une nouvelle Acadie et se concentrent sur l’isthme stratégique de Chignectou qui sépare le continent de la péninsule acadienne. En 1751, ils y construisent le fort Beauséjour, qui fait face au fort anglais Lawrence, et le fort Gaspareau (carte ci-dessus), et essayent de faire migrer les Acadiens vers Beauséjour. La confrontation est inévitable et le destin tragique des Acadiens très proche.

Le grand dérangement et les prémisses de la nouvelle Acadie

Le grand dérangement des Acadiens (monument de Caraquet).

Monument à la déportation des Acadiens de Caraquet

En cette année 1754, la situation a donc profondément changé. Le nouveau gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, Charles Lawrence, doute de la neutralité des Acadiens et préconise de les déporter mais aussi, et c’est nouveau, de les assimiler dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre. Il met son plan à exécution en juin 1755, avec la prise des forts Beauséjour et Gaspareau, et ordonne en juillet la déportation des Acadiens. La population acadienne compte alors environ 13000 personnes.

Avant la fin de 1755, environ 6000 Acadiens ont été déportés dans les colonies britanniques, où ils sont indésirables et donc très mal accueillis. Certains seront expulsés en Angleterre ou renvoyés par la mer en Acadie. D’autres repartiront par la terre vers le fleuve Saint-Jean. Beaucoup cependant auront échappé à la déportation en s’enfuyant dans les forêts. La déportation s’achèvera en 1762, après la chute de la forteresse de Louisbourg et l’annexion de l’île Royale et de l’île Saint-Jean en 1758, puis la chute de la Nouvelle-France en 1760. Au total, au moins 10000 Acadiens auront été déportés dans les colonies britanniques, en Angleterre et en France, mais au destin tragique de la déportation s’ajoutera l’horreur de leur sort, car beaucoup périront en mer en succombant à la maladie et à la famine.

Ce « grand dérangement » et les migrations qui l’accompagnent se poursuivront jusqu’à la fin du siècle. Un article du traité de Paris de 1763 permettra aux déportés de quitter les colonies britanniques, ce que feront la plupart d’entre eux. Certains s’installeront clandestinement sur le territoire de l’actuel Nouveau-Brunswick, leur nouvelle Acadie. D’autres se rendront à Québec ou en France ou s’installeront en Louisiane dans une région qui deviendra plus tard le pays des « Cadiens » (Cajuns). Une deuxième vague d’immigration des Acadiens en Louisiane s’effectuera en 1785, cette fois-ci en provenance de France.

La rivière Petitcodiac arrose Moncton et Dieppe.

Bassin de la rivière Petitcodiac qui arrose aujourd’hui la ville de Moncton

En ce début du XIXè siècle, quarante ans après la chute de la Nouvelle-France, la population acadienne des trois colonies maritimes (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Ecosse, Île du Prince-Edouard) s’élève maintenant à 8400 personnes. Le Nouveau-Brunswick créé en 1784 en constitue le plus fort contingent. Le retour de nombreuses familles déportées explique en grande partie cet accroissement important de population.

A partir de 1764, les Acadiens réfugiés en forêt ou de retour d’exil ont dû prêter serment d’allégeance à la Couronne britannique et accepter d’être dispersés en petits groupes. Mais traumatisés par le choc de la déportation, beaucoup ont voulu s’éloigner de leurs anciennes terres occupées par les colons anglo-protestants.

Dès les années 1750, une population acadienne s’était établie dans les vallées des rivières Petitcodiac et Memramcook (carte ci-dessus). Mais malgré les incursions des troupes anglaises après la chute du fort Beauséjour, les Acadiens ont pu s’enfuir et certains sont revenus sur les lieux. Ils seront par la suite rejoints par d’autres Acadiens de retour d’exil. En 1766, dans une région autrefois appelée « le Coude » par les Acadiens, car située dans un coude de la rivière Petitcodiac, sera fondé le village de Moncton (carte), par des colons allemands de Pennsylvanie.

D’autres Acadiens fuyant la déportation ont également formé des communautés sur le pourtour de la baie des Chaleurs, où ils ne furent tolérés qu’à partir de 1764. Enfin, le territoire du Madawaska fut colonisé à partir de 1785 par des familles acadiennes contraintes de remonter le fleuve Saint-Jean sous la pression des loyalistes américains et par des familles canadiennes-françaises du sud de la vallée du Saint-Laurent. Cette nouvelle configuration du Nouveau-Brunswick dessinait déjà les contours de l’Acadie actuelle.

Le Nouveau-Brunswick en fer de lance de l’Acadie contemporaine

Drapeau des Acadiens créé en 1884 à leur deuxième convention nationale.

Drapeau de l’Acadie créé en 1884

Alors que les Acadiens s’enracinent en silence dans une société dominée par les Anglophones, leur population des trois provinces maritimes connaît une croissance soutenue et un développement économique fondé sur l’industrie et le commerce agricole, favorisant l’émergence d’une élite économique et sociale, surtout au Nouveau-Brunswick.

Mais le grand réveil des Acadiens n’intervient que dans la deuxième moitié du XIXè siècle. En 1846, un fermier prospère du comté de Westmorland (sud-est), Amand Landry, est le premier député acadien élu à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick. De même, le collège acadien Saint-Joseph, fondé en 1864 à Memramcook, devient en 1888 la première université francophone des provinces atlantiques. En parallèle, le premier journal acadien, le « Moniteur acadien », paraît pour la première fois en 1867.

Au recensement fédéral de 1871, la population acadienne des provinces maritimes compte 87000 personnes, dont plus de la moitié au Nouveau-Brunswick qui connaît la plus forte croissance démographique et devient le « bastion de l’Acadie ». En 1881, la première convention nationale des Acadiens a lieu à Memramcook. Les Acadiens y choisissent le 15 août, jour de l’Assomption, comme le jour de leur fête nationale. En 1884, lors de leur deuxième convention nationale, les Acadiens choisissent leur drapeau (tricolore avec l’étoile jaune, couleur du pape, sur le bleu) et leur hymne (Ave Maris Stella).

Le bilinguisme est officiel à Moncton depuis 2002.

Moncton, ville officiellement bilingue depuis 2002

Au XXè siècle, le Nouveau-Brunswick concentre la grande majorité de la population acadienne des provinces maritimes, avec un poids démographique de 30 à 35% suffisamment important pour faire valoir les droits des Acadiens. L’université de Moncton, créée en 1963, devient l’une des deux seules universités de langue française des provinces maritimes, avec l’université Sainte-Anne (Nouvelle-Ecosse), en particulier après l’affiliation du collège Saint-Joseph. C’est aussi au Nouveau-Brunswick qu’en 1968 le bilinguisme devient officiel dans l’administration et qu’en 1981 l’égalité de l’Anglais et du Français est consacrée dans la loi 88 adoptée par l’Assemblée législative de la province. En 1993, la loi 88 est d’ailleurs intégrée à la constitution canadienne.

Aujourd’hui, l’agglomération de Moncton (Grand Moncton) est la plus grande du Nouveau-Brunswick, avec 138,644 habitants au recensement de 2011, dont 35% de Francophones, et la ville limitrophe de Dieppe, qui fait partie de l’agglomération, est elle-même francophone à 75%. Dans le passé, la ville de Moncton s’appelait « Monckton », en l’honneur de l’officier britannique Robert Monckton, vainqueur des Français au fort Beauséjour et l’un des artisans de la déportation des Acadiens. Mais si le « k » de Monckton a disparu de façon fortuite au cours de l’histoire de la ville, il ne fallait certainement pas compter sur la population acadienne et francophone pour le faire réintégrer !

A l’image du célèbre festival Acadien de Caraquet (côte sud de la baie des Chaleurs), l’offre touristique du Nouveau-Brunswick fait une large place à la culture acadienne. Plus largement, l’offre touristique de l’Acadie des trois provinces maritimes est maintenant regroupée à travers le site Expérience Acadie de la Commission du tourisme acadien du Canada atlantique.

Références bibliographiques et sites de référence pour approfondir

– La Francophonie nord-américaine. Ouvrage dirigé par Yves Frenette, Etienne Rivard, Marc Saint-Hilaire (Presses de l’Université Laval, 2012).
– Histoire de l’Amérique française, édition revue (2008), Gilles Havard, Cécile Vidal (ouvrage de référence sur la Nouvelle-France).
– CyberAcadie (site sur l’histoire du peuple acadien).
– Dictionnaire bibliographique du Canada (site de l’Université de Laval et de l’Université de Toronto).
Statistique Canada (le français et la francophonie au Canada).
Statistique Nouveau-Brunswick (les francophones du Nouveau-Brunswick).
Ville de Moncton (site officiel de la ville).