Devenu un Etat de l’Union en 1820, le Maine était auparavant une province de la colonie puis de l’Etat du Massachusetts. Au 17e siècle, sa côte atlantique fut âprement disputée entre les colonies anglaises et la colonie française de l’Acadie. Dès 1613, la frontière de l’Acadie se positionna dans la baie de Penobscot (aujourd’hui Castine, Maine), mais au prix d’un invraisemblable concours de circonstances…

Côte de l'île des Monts Déserts

Côte de l’île des Monts Déserts, près de Southwest Harbor, vue de la mer, à proximité de l’ancienne mission jésuite (auteur Mourial, licence CC BY 3.0)

Carte du Maine (à agrandir)

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En mai 1613, quand les Français débarquèrent sur L’île des Monts Déserts (à l’est de Castine), ils n’étaient pourtant pas arrivés à leur destination finale. L’expédition était en effet financée par la Marquise de Guercheville et d’autres dames de la cour pour fonder, en amont de la rivière Penobscot (aujourd’hui Bangor, Maine), une colonie et une mission jésuite pour les Amérindiens. Sur le site de Bangor, le chef Bessabes, que le père jésuite Pierre Biard avait rencontré deux ans auparavant, ne pouvait que leur faire un bon accueil. Qui était Bessabes ?

Dès 1604, Samuel de Champlain avait exploré et cartographié les côtes du Maine et des provinces maritimes du Canada où il avait identifié trois grandes communautés de langues algonquiennes. Les Etchemins vivaient entre les rivières Saint-Jean et Kennebec, où la baie de Penobscot occupait une position centrale. Au sud-ouest se situaient les territoires des Armouchiquois, dont le groupe le plus connu est celui des Abénaquis, et au nord-est ceux des Souriquois (ou Micmacs). Des villages Etchemins et Abénaquis avaient formé une alliance intertribale dont Bessabes, un Etchemin, était le grand chef respecté par tous. Leur grand rendez-vous tribal traditionnel se tenait à Pentagouet (Castine), l’autre résidence de Bessabes. Cependant, à l’île des Monts Déserts, rien ne se passa comme prévu…

Un invraisemblable concours de circonstances

Fascinés par la beauté du lieu où ils avaient jeté l’ancre par hasard, après deux jours et deux nuits d’attente dans le brouillard, les Français le nommèrent Saint-Sauveur. Le chef Asticou, un Etchemin loyal à Bessabes, se montra très convaincant pour que la colonie de Saint-Sauveur s’installe finalement sur son île (aujourd’hui Southwest Harbor). Mais le ciel de la nouvelle colonie s’assombrit très vite. Les Anglais de Virginie avaient missionné Samuel Argall pour chasser les Français de ces territoires déjà revendiqués par l’Angleterre. Au début de l’été 1613, Argall aborda la côte du Maine, sans doute déjà informé d’une présence française dans la région. En longeant l’île des Monts Déserts, il aperçut par hasard un Etchemin qui, prenant son bateau pour un bateau français, lui désigna par mégarde la colonie de Saint-Sauveur…

Pourtant, d’après l’historien Daniel Thorp, un autre scénario est possible. Et si les Etchemins avaient désigné délibérément à Argall la colonie de Saint-Sauveur ? Après tout, ils ne pouvaient pas ignorer la différence entre les marins français et anglais et les Français pouvaient représenter une menace pour leur territoire. En 1605, après l’échec de leur colonie de la rivière Sainte-Croix, les Français avaient fondé Port-Royal (actuelle Nouvelle-Ecosse), où les Micmacs leur avaient fait un excellent accueil, trop heureux d’être à la portée immédiate de leurs marchandises de traite des fourrures. Mais l’ambition des chefs micmacs d’étendre leur influence sur de nouveaux territoires de chasse se heurtait à celle, non moins grande, de leur ennemi commun, le grand chef Bessabes. Alors, était-ce vraiment un malheureux concours de circonstances ? Le résultat fut en tout cas désastreux, puisque la colonie française naissante, absolument pas préparée à réagir à une telle attaque soudaine, fut détruite et ses occupants capturés puis relâchés en mer ou envoyés captifs en Virginie. Les Etchemins n’y gagnèrent cependant rien au change…

Histoire du fort pentagouet

Panneau historique du fort Pentagouet, à Castine (photo John Stanton, licence CC BY-SA 3.0)

En 1615, après des années de conflits violents, les Micmacs, alliés des Français, infligèrent aux Etchemins et leurs alliés une terrible défaite et tuèrent leur grand chef Bessabes. Dans la même période, le marchand français Claude de La Tour établit le premier poste de traite à Pentagouet (Castine) qui s’imposa très vite comme un carrefour important de la traite des fourrures. La Tour fut ensuite chassé de Pentagouet, en 1626, par les Anglais de la colonie de Plymouth. En 1635, après la signature du traité de Saint-Germain-en-Laye, Charles de Menou d’Aulnay reprit possession de Pentagouet pour y construire un véritable fort et reconstituer le réseau de traite français. Ainsi était consolidée (provisoirement) la frontière de l’Acadie, dont l’importance politique et économique était considérable. Ce qui s’est passé ensuite est une autre histoire (voir le panneau historique ci-dessus)…

Références documentaires

Harald Prins, Bunny McBride ; Asticou’s Island Domain: Wabanaki Peoples at Mount Desert Island 1500-2000 ; Acadia National Park, Ethnographic Overview & Assessment, Volume 1, Boston, 2007.
Daniel Thorp ; Equals of the King: The Balance of Power in Early Acadia ; Acadiensis, Revue d’histoire de la région Atlantique, Volume 25, n°2, Avril 1996.
William Sawtelle ; Mount Desert: The Story of Saint Sauveur ; Sprague’s Journal of Maine History ; Lu devant la Bangor Historical Society, avril 1921.

Article publié à l’origine sur le site de l’association Aquitaine Québec & Amérique du nord Francophone